Aide médicale à mourir (AMM)

Contexte

À la suite de la décision Carter c. Canada, rendue le 6 février 2015, le Canada a adopté une disposition législative fédérale le 17 juin 2016 permettant aux adultes canadiens de demander l’aide médicale à mourir (AMM). En vertu du projet de loi C-14, pour être admissible à l’AMM, la personne doit :

  • être admissible à des services de santé financés par le gouvernement fédéral ou une province ou un territoire (ou durant le délai minimal de résidence ou d’attente d’admissibilité)
  • être âgée d’au moins 18 ans
  • être affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables
  • avoir fait une demande d’aide médicale à mourir de manière volontaire, qui ne soit pas le résultat de pressions ou d’influences extérieures
  • donner son consentement éclairé à recevoir l’aide médicale à mourir

En vertu du projet de loi C-14, le patient devait, pour être considéré comme étant affecté par un problème de santé grave et irrémédiable, satisfaire à tous les critères suivants :

  • souffrir d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave
  • être dans un état de déclin avancé qui ne peut pas être inversé
  • ressentir des souffrances physiques ou mentales insupportables causées par la maladie, le handicap ou le déclin des capacités qui ne peuvent pas être atténuées dans des conditions qu’il juge acceptables
  • se trouver dans un état où la mort naturelle était devenue raisonnablement prévisible

L’exigence d’un pronostic précis quant au temps qui restait à vivre au patient ne figurait pas dans les critères d’admissibilité.

Le projet de loi C-14 n’excluait pas expressément la maladie mentale. Il ne contenait pas non plus de dispositions sur trois points : 1) les demandes anticipées; 2) le trouble mental comme seule affection invoquée; 3) l’accès aux mineurs matures. Ces questions ont été reportées à une étude ultérieure, dont un comité d’experts indépendant a été chargé par le Conseil des académies canadiennes (CAC). Le 12 décembre 2018, le CAC a publié trois rapports finaux : un sur chaque type de demande.

Le groupe de travail du comité d’experts du CAC sur l’AMM quand un trouble mental est la seule affection médicale invoquée n’est pas parvenu à un consensus sur les mesures à prendre dans son rapport final. Toutefois, son rapport s’appuie sur la littérature, l’expérience internationale et diverses perspectives pour présenter des considérations importantes, des implications et des mesures de précaution possibles.

Le 11 septembre 2019, la Cour supérieure du Québec a aboli la disposition de la mort « raisonnablement prévisible » dans la législation canadienne sur l’aide à mourir (Truchon c. Procureur général du Canada) et a donné au gouvernement jusqu’au 11 mars 2020 pour élaborer une nouvelle loi. La décision Truchon n’a pas fait l’objet d’un appel par le gouvernement du Québec ou du Canada. Cependant, le gouvernement fédéral a demandé et obtenu des prolongations de l’échéance initiale du 11 mars, qui a été repoussée au 17 mars 2021, date à laquelle le projet de loi C-7 a été adopté. La loi modifiée :

  • Supprimait l’exigence selon laquelle la mort naturelle de la personne doit être raisonnablement prévisible.
  • Introduisait une approche à deux volets en ce qui concerne les mesures de protection, selon que la mort naturelle de la personne est raisonnablement prévisible ou non : 1) les mesures de protection existantes seront maintenues et certaines autres seront assouplies pour les personnes admissibles dont la mort est raisonnablement prévisible; 2) des mesures de protection modifiées sont établies pour les personnes admissibles dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.
  • Permettait la renonciation au consentement final pour les personnes admissibles dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et qui pourraient perdre la capacité de consentir avant que l’AMM puisse être fournie.
  • Élargissait la collecte de données au moyen du système fédéral de surveillance afin de fournir un portrait plus complet de l’AMM au Canada.
  • Excluait pendant 24 mois l’admissibilité des personnes souffrant uniquement de maladie mentale et demandait aux ministres de la Justice et de la Santé de lancer une étude d’experts chargée de formuler des recommandations d’ici un an sur les protocoles, les orientations et les mesures de protection en matière d’AMM pour les personnes souffrant de maladie mentale.

Le Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale a été formé en août 2021 avec comme mandat d’entreprendre l’examen demandé par le projet de loi C-7. Le 13 mai 2022, le Groupe d’experts a présenté son rapport final, dans lequel il formulait 19 recommandations qui, à son avis, pourraient être mises en œuvre sans ajouter de nouvelles mesures de protection législatives au Code criminel, mais plutôt en renforçant les lois, les normes et les pratiques existantes en matière de soins de santé.

En septembre 2022, Santé Canada a formé un groupe de travail chargé d’élaborer les normes de pratique en matière d’AMM avant mars 2023, en s’appuyant sur les recommandations 2 à 13 du rapport final du Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale.

Le 1er janvier 2023, les nouvelles exigences fédérales en matière de production de rapports sur l’AMM sont entrées en vigueur. Les nouvelles dispositions que comporte le Règlement ont été modifiées pour être harmonisées avec les modifications apportées au Code criminel découlant du projet de loi C7. De plus, un document d’orientation a été rédigé pour aider les professionnels de la santé à s’acquitter de leurs responsabilités en vertu du règlement modifié.

Le 9 mars 2023, le Canada a adopté une loi visant à prolonger d’un an l’exclusion temporaire de l’admissibilité à l’AMM lorsque la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué. En repoussant la date limite au 17 mars 2024, on souhaite donner plus de temps pour la diffusion et l’adoption de ressources importantes, y compris les normes de pratique en matière d’AMM et un programme d’enseignement et de formation sur l’AMM, et pour prendre en compte les recommandations formulées dans le rapport final du Comité mixte spécial sur l’AMM.

Le 27 mars 2023, Santé Canada a publié le Modèle de norme de pratique en matière d’AMM. Élaboré en réponse à la première recommandation du rapport du Groupe d’experts sur l’AMM et la maladie mentale, le modèle de norme couvre les aspects de la pratique de l’AMM qui sont pertinents lorsque la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué (AMM TM-SPMI) ainsi que le contenu pertinent à toutes les demandes d’AMM, en particulier les demandes d’AMM faites par des patients de la voie 2, où la mort naturelle de la personne n’est pas raisonnablement prévisible. Un document d’accompagnement, intitulé « Document de référence : Aide médicale à mourir (AMM) », donne des conseils et des éclaircissements supplémentaires sur des questions cliniques soulevées par le modèle de norme.

Un programme de formation bilingue sur l’AMM, agréé à l’échelle nationale, à l’intention des médecins et des infirmières praticiennes a été lancé au Canada le 13 septembre 2023. Le Programme canadien de formation sur l’AMM a été élaboré par l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM et s’adresse à tous les cliniciens, avec ou sans expérience en matière d’AMM. Il est composé de sept sujets, dont un sur l’AMM et les troubles mentaux. Le programme est gratuit pour les cliniciens (médecins autorisés et infirmières praticiennes) jusqu’en mars 2026.

Le 31 octobre 2023, cinq mois avant l’entrée en vigueur de l’admissibilité de l’AMM TM-SPMI et conformément à la recommandation 13 du rapport final, le Comité mixte spécial sur l’AMM a été reconstitué « afin de vérifier le degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l’AMM (en situation de TM-SPMI) ».

Position de l’APC sur l’AMM

Il y a des opinions divergentes au sein de la psychiatrie canadienne en ce qui concerne le recours à l’AMM, et la question de savoir si l’accès à celle-ci devrait être autorisé lorsque la demande est motivée uniquement par un trouble mental. D’importantes questions juridiques, cliniques, éthiques, morales et philosophiques rendent cette question particulièrement difficile. Pour le moment, l’APC n’a pas encore statué si l’AMM devrait être accessible dans les situations où la maladie mentale est la seule affection médicale invoquée.

Le 13 mars 2020, l’APC a publié une déclaration de principe qui a été rédigée dans le contexte de la loi actuelle, le projet de loi C-14, et qui est conforme aux ententes internationales sur les droits de la personne qu’a ratifiées le Canada (c.-à-d. la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées).

La déclaration de principe de l’APC énonçait que « les patients souffrant d’une maladie psychiatrique ne devraient pas faire l’objet de discrimination uniquement en fonction de leur incapacité et devraient disposer des mêmes options liées à l’AMM dont tous les patients peuvent se prévaloir » [c’est nous qui soulignons]. L’énoncé ne parle pas des « patients qui ont seulement une maladie psychiatrique » pas plus qu’il ne prend position, de manière expresse ou implicite, sur les maladies psychiatriques qui sont graves et irrémédiables.

Le Comité des normes professionnelles et de la pratique a rédigé la déclaration de principe à la demande du conseil d’administration et conformément à la politique de gouvernance de l’APC, qui précise que les exposés et les énoncés sont habituellement élaborés par des conseils ou des comités sur des sujets qui reflètent la portée de leur mandat ou qui sont autorisés et mis en priorité par le comité de direction ou le conseil d’administration.

Consultation auprès des membres

Depuis 2016, l’APC met à contribution ses membres sur cette question, à l’aide de sondages, d’un groupe de travail d’une durée limitée et de symposiums tenus au congrès annuel. L’APC a recueilli de l’information sur l’ensemble des opinions des psychiatres grâce à un nouveau sondage, réalisé en 2020, à des assemblées publiques des membres et à une invitation à présenter des commentaires écrits lancée à nos membres. Cette consultation auprès des membres a été stimulée par la rétroaction des membres des associations provinciales de psychiatres, de même que par les académies de surspécialité en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, en psychiatrie gériatrique, en psychiatrie légale et en psychiatrie de consultation-liaison.

Ce travail de consultation a été mené par un groupe coprésidé par le Comité des politiques publiques et le Comité des normes professionnelles et de la pratique de l’APC. Le groupe de travail, représentatif à l’échelle nationale, est composé de psychiatres formant un échantillon représentatif de l’expertise, notamment la prestation de l’AMM au Canada, l’épidémiologie et/ou la recherche sur l’AMM, les politiques de santé à l’égard de l’AMM et l’éthique. Le groupe de travail comprend également un membre ayant une expérience vécue de la maladie mentale.

Le 13 août 2021, le groupe de travail a publié un document de discussion qui présente divers aspects liés à l’AMM notamment la capacité décisionnelle, le consentement éclairé et les mesures de protection appropriées. Pour aider les décideurs à se préparer à la fin de l’exclusion temporaire des demandes d’aide médicale à mourir (AMM) sur la seule base d’un trouble mental, l’APC a, en novembre 2021, invité à nouveau les membres et les intervenants à présenter des commentaires sur son document de discussion, et publié un rapport résumant les commentaires et les recommandations reçus par l’APC.

Recommandations au gouvernement

L’APC a déjà présenté des mémoires au gouvernement fédéral ou comparu devant des comités gouvernementaux au sujet de l’AMM. Le 12 novembre 2020, l’APC a présenté un mémoire au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, ainsi qu’au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, le 23 novembre 2020, au sujet du projet de loi C-7.

L’APC soutient l’égalité et la dignité des personnes souffrant de maladies psychiatriques. Dans le contexte de toute modification liée à l’AMM proposée à la loi, l’APC revendique fermement l’accès équitable aux services cliniques à titre de mesure de protection essentielle pour faire en sorte que les patients ne demandent pas l’AMM en raison d’un manque de traitements, de soutien ou de services disponibles. Toute nouvelle mesure législative sur l’AMM doit protéger et défendre les droits de tous les Canadiens vulnérables sans stigmatiser ou discriminer indûment les personnes atteintes de troubles mentaux.

Évaluer la capacité décisionnelle à consentir à une intervention médicale irréversible et fatale comme l’AMM est très complexe, surtout quand il existe une maladie mentale cooccurrente et à plus forte raison, quand la maladie mentale est la seule raison invoquée. Les psychiatres ont une formation et une expertise spécialisées en évaluation, en diagnostic et en traitement des maladies mentales, y compris en évaluation de la capacité décisionnelle et de la durabilité, la stabilité et la cohérence de la volonté et des préférences exprimées par une personne. Les psychiatres savent prendre en considération les contraintes externes ou les psychopathologies internes qui peuvent avoir une incidence sur ces questions.

La collaboration de l’APC aux ressources et à la formation sur l’AMM

Par l’entremise de son groupe de travail sur l’AMM, l’APC a fourni des commentaires sur le Modèle de norme de pratique en matière d’AMM avant sa publication.

L’APC a fait partie du comité directeur du Programme canadien de formation sur l’AMM, qui a appuyé l’élaboration d’un programme de formation pour les évaluateurs et les fournisseurs, désormais disponible. Les membres de l’APC ont également fait partie des groupes de travail qui ont élaboré des volets particuliers du programme.

L’APC a régulièrement informé les membres de l’évolution des normes de pratique et de leur contenu, ainsi que du programme de formation. Nous continuons de tenir les membres au courant des possibilités de formation sur l’AMM et de faciliter celles-ci.

Lors de son congrès annuel de 2022, l’APC a organisé une table ronde au cours de laquelle 140 délégués ont discuté des considérations éthiques devant guider les décisions relatives à l’AMM, de l’évaluation de la capacité et du caractère volontaire, ainsi que de la question du suicide par rapport à l’AMM. Lors de son congrès d’octobre 2023, 350 délégués ont assisté à une séance plénière portant sur la nécessité de créer un programme national de formation sur l’AMM et sur les grandes lignes de son élaboration. Parallèlement au congrès, l’APC a également organisé une séance animée consacrée au sujet 7 du Programme canadien de formation sur l’AMM (AMM et troubles mentaux) à l’intention des membres de l’APC.

La revue évaluée par les pairs de l’APC, la Revue canadienne de psychiatrie, a publié plusieurs articles visant à clarifier certains aspects de l’AMM, dont une recherche originale de van Veen et ses collègues, qui établit 13 critères consensuels pour déterminer l’irrémédiabilité dans le contexte de l’AMM aux Pays-Bas.